Ce projet, entre objet/grigri magique et longues explications du symbolisme des lettres de notre alphabet latin se construit sur le concept d’alchimie. L’alchimie, qu'est-ce que c’est ? La définition la plus simple que nous donne Wikipédia est la suivante : « Discipline qui peut se définir comme un ensemble de pratiques et de spéculations en rapport avec la transmutation des métaux. ». À l’époque c’était très sérieux, chimie et philosophie toutes les deux entremêlées. L’alchimiste était une figure savante, aujourd’hui le concept d’alchimiste se rapproche plus de la figure d’un vieil hurluberlu passionné par l’ésotérisme.
Mais alors pourquoi l’alchimie c’est aussi fun ? Ce qu’il y a de super cool avec les alchimistes c’est qu’en parallèle de leur discipline de chimiste et penseur, ils développent leur propre langage à partir d’imagerie (allégorie), des messages cachés par le « symbole ». À côté de toute cette imagerie symbolique, ils développent « la langue des oiseaux », un procédé littéraire, intellectuel et symbolique parfaitement fascinant. La langue des oiseaux consiste à donner un sens autre à des mots ou à une phrase, soit par un jeu de sonorités, soit par des jeux de mots (verlan, anagrammes, fragments de mots…), soit enfin par le recours à la symbolique des lettres. Autrement dit, la langue des oiseaux est une langue tenant de la cryptographie, qui se fonde sur trois niveaux : 1. la correspondance sonore des mots énoncés avec d’autres non dits permet un rapprochement sémantique qui constitue un codage volontaire, soit pour masquer une information, soit pour amplifier le sens du mot premier ; 2. les jeux de mots utilisés permettent un codage davantage subtil et ésotérique, les mots se reflètent ad libitum : verlan, anagrammes, fragments de mots, etc. ; 3. la graphie enfin, fondée sur la symbolique mystique des lettres des mots énoncés, peut renvoyer à un codage iconique renforçant le sens des mots, comme dans les hiéroglyphes. Les plus anciens documents dont nous disposons aujourd’hui théorisant la langue des oiseaux sont signés Grasset d’Orcet et Fulcanelli, et remontent à la seconde moitié du XIXe siècle. Ils attribuent néanmoins à la langue des oiseaux des origines immémoriales : elle aurait longtemps été une langue d’initiés, un système de codage occulte lié à l’alchimie et à la poésie hermétique (de Hermès, dieu patron des phénomènes cachés). Elle acquiert une dimension psychologique au XXe siècle, avec les travaux de Carl Gustav Jung ou de Jacques Lacan, qui y voient un codage inconscient permettant d’amplifier le sens des mots et des idées. Le Dictionnaire des langues imaginaires recense plusieurs entrées en lien avec la langue des oiseaux : langage des animaux, langue des corbeaux, langage de l’extase (mystique), langage ludique, langage du rossignol, langue secrète, etc. Néanmoins, il existe des langues farfelues (comme la langue des corbeaux) sans fondements historiques, sûrement inventions de cas pathologiques. Il faut ainsi différencier les « langues secrètes » des langues farfelues, des langues inventées (la langue des grenouilles, d’Aristophane), des jargons et dialectes et des imitations (« langue des animaux » dont Mircea Eliade dit qu’elle consiste à « imiter leurs cris, surtout les cris d’oiseaux »). Finalement, c’est l’existence d’un code caché qui permet de départager ces registres et de repérer l’originalité de la langue des oiseaux.
J’ai fait le choix de construire les symboles/motifs/lettrages/grigris sur le dessin de lettres de 3 alphabets latins que j’ai trouvé dans l’ouvrage « Traité pratique sur l’art de l’enluminure : avec des exemples, chromographiés en fac-similé et en esquisse, des styles prévalant à différentes époques, du VIe siècle à nos jours », publié par Marcus Ward et Co. London. Le 3, c’est un chouette chiffre. Le 3 en numérologie c’est le symbole de créativité, sociabilité, communication, épicurisme et mobilité. Le 3 c’est un E majuscule à l’envers, et le E représente en symbolisme de la lettre, les 3 territoires (spirituel/corps/terre). Le 3 c’est aussi, les trois principes en alchimie (matériel/psychique/divin).
Toujours dans la conception des perles, je me suis attardé sur la symétrie. La définition, encore une fois, merci à Wikipedia, est la suivante : « La symétrie est une propriété d’un système : c’est lorsque deux parties sont semblables. ». On retrouve la symétrie dans la chimie, la chimie inorganique (la cristallographie, la minéralogie), la physique, les mathématiques, etc.
En minéralogie, Frédéric Hatert dans son écrit « La symétrie des minéraux », nous fait part du fait que « la symétrie gouverne l’arrangement des atomes au sein des minéraux (…) ». En chimie, on retrouve le principe de « symétrie moléculaire ». C’est un concept fondamental en chimie car il permet de prévoir ou d’expliquer un grand nombre des propriétés chimiques des molécules.
Toujours dans un élan de symétrie, en Amérique, des chercheurs du Proceeding of the National Academy of Sciences se sont demandés « Pourquoi l’évolution privilégie la symétrie ? ». Ils nous font constater que « Pour la nature, ce serait une façon de fonctionner selon un principe d’économie. », et rajoute par la suite « Comme les structures symétriques nécessitent moins d’informations pour être codées, elles sont beaucoup plus susceptibles d'apparaître comme une variation potentielle. ». Les termes que j’ai trouvé intéressants dans cette recherche sont : l’économie, le codage et la variation. Comment des choses/termes créées par l’humain, tels que l’économie et le codage, peuvent-ils venir s’inscrire dans la démarche de la géométrie de la nature ? C’est à ce moment là, que je suis tombé sur un article s’intitulant « La géométrie : clef du réel ? Pensée de l’espace et philosophie des mathématiques » de Luciano Boi. Il nous dit « En ce sens, on peut dire que tout modèle mathématique de géométrie est un « univers virtuel » au sein duquel une géométrie physique peut passer d’un état de possibilité à un autre d’existence effective. La théorie de la supersymétrie ou la théorie des noeuds offrent de magnifiques exemples d’un tel processus. ». C’est sur « univers virtuel » et « théorie des noeuds » que j’ai directement pensé à Donna Haraway et ses fameuses String Figure (jeux de ficelles, en français). On retrouve ce terme dans son livre « vivre avec le trouble », notamment dans le chapitre 1 : « Jeux de ficelles avec les espèces compagnes : rester avec le trouble ». Elle nous y dit « Les jeux des ficelles sont comme les histoires : comme elles, ils proposent et mettent en oeuvre des motifs qui font en sorte que ceux qui y participent puissent habiter une terre vulnérable et blessée. (…) narration multispécifique (…) SF c’est égal à : Science Fiction, Féminisme Spéculatif, Fantaisie Scientifique, Fabulation Spéculative, String Figures. (…) Jouer à des jeux de ficelles c’est s’inscrire dans le jeu de qui donne et reçoit des motifs, en abandonnant des fils et en échouant, mais parfois en trouvant quelque chose qui marche. ».
Ce qui m'intéresse ici, et qui je trouve résonne plutôt bien avec le fait de créer l’objet de « la perle », est que l’alchimie et la science fiction ne sont pas si éloignés. C’est le fait de trouver harmonie et système pour vivre mieux avec notre propre évolution, entre science, technologie et nature. Conter/raconter/retracer/peindre/narrer une spéculation. (Réf. : « Spéculation : une économie politique des technologies de l’imagination » de Laura Bear). Dans la même foulée que ce constat, mes recherches m’ont amené sur un article qui s’appelle « Entre littérature, science et politique : les oeuvres alchimiques de Thomas Norton et George Ripley ». Qui nous énonce « L’alchimie incarne par nature la transformation (…) la pensée magique. (…) L’alchimie a aussi l’inconvénient de se situer à la frontière entre la science et l’art - au sens médiéval du terme, qui renvoie à une pratique. »
La perle devient donc synthèse de toutes ces données. Elle est la spéculation/traficotage de l’assemblage de l’alchimie avec sa symbolique des lettres, et de la science-fiction avec sa narration multispécifique. La perle, ou les perles, deviennent amulettes fantastiques/magnétiques/occultes, qui nous rapprochent, avec des procédés de créations technologiques (laser, plexiglass, tablette graphique) à des valeurs philosophiques de mieux vivre avec la nature (la terre, l’âme et le divin).
Technique de décodage de la construction d'une lettre :
. La droite verticale : Esprit divin. Elle est une descente de ce « qui est en haut » en reliant le supérieur et l’inférieur. Ce qui est debout à l’image de l’humain.
. La droite horizontale : représente notre plan terrestre, « plat » par son horizon et sa stabilité apparente. Une structure d’accueil de notre matière dont elle est le symbole. Symbole la masculinité aussi.
. La diagonale : Désigne le mouvement, qui est en progression ou en ascension selon le sens du tracé. Ce mouvement peut être un mouvement temporel ou une capacité d’action, de faire.
. La demi-sphère : Matrice. Symbole de la féminité.
. Le demi-carré : Symbolise l’Homme dans sa polarité incomplète. Ce carré que l’on devine, c’est son côté cartésien, « carré », et pourtant tronqué de moitié car il lui manque son autre moitié.
. Le cercle : Représente un tout fini, complet et parfait, autonome. Il contient son propre espace, c’est un contenant et un contenu.
© photographies d'Aïtana Saya Garcia.